# 40 Le freezing, ou une histoire d’anticipation

Vous avez peut-être déjà entendu parler du freezing (gelé). Le freezing correspond à un état d’immobilité souvent associé à un état de peur passif. C’est à dire que l’animal est ‘pétrifié’ de peur.

Or, la science ne se contentant jamais d’une seule réponse, de nombreux travaux sur cet état ont été effectués et il en ressort aujourd’hui une toute autre interprétation bien plus intéressante que celle donnée au préalable.

Alors c’est quoi le freezing ?

Ce terme correspond à l’état de la proie qui rencontre un prédateur dont les intentions ne sont pas claires, et qui va, durant un temps donné, rester en état d’immobilité avant de prendre éventuellement la décision de partir ou de se battre selon la dangerosité de la situation.

On peut observer d’ailleurs ce comportement chez nos animaux, pas nécessairement face à un prédateur, mais face à une menace quelle qu’elle soit. Étant donné que l’événement en question est considéré comme une menace potentielle, cela signifie que l’on parle ici d’un stimulus conditionné, qui a déjà fait l’objet d’une association négative auparavant (directe ou indirecte).

Allons un peu plus loin.

Dans le cadre de la détection d’une menace, il est proposé 3 stades dans le déroulement des évènements, aboutissant à différentes réponses comportementales potentielles.

1. La suspicion d’une menace : Un danger peut potentiellement être présent, mais il n’y a aucun signe de danger. Nous sommes plutôt sur un conditionnement contextuel. L’individu a la notion qu’un danger peut être présent à cet endroit, mais le danger en question n’est pas présent pour le moment. L’animal est donc vigilant.

2. La détection d’une potentielle menace : L’individu a détecté un danger potentiel, mais le danger n’est pas encore imminent, plusieurs issues sont encore possibles à ce stade. La situation est ambiguë.

3. Menace immédiate. Le danger fonce droit sur l’individu, il est définitivement temps de fuir ou se battre, la situation n’est plus ambiguë.

Le freezing intervient donc durant la deuxième phase, c’est à dire le moment où le danger est perçu, mais la situation reste ambiguë. Telle la proie qui ne sait pas encore si le prédateur représente une menace ou s’il va passer son chemin.

Analysons cela de plus près.

On a donc, jusqu’ici, considéré cet état de freezing comme un état passif, cependant, il n’en est rien.

Aujourd’hui, les chercheurs, dans la revue Nature Neurosciences, proposent une dimension utile et active du freezing qui serait finalement une stratégie de l’organisme permettant à l’individu de prendre le temps d’évaluer la menace et la stratégie à adopter.

Vous avez souvent entendu parler du fameux « fight or flight», combat ou fuite, où l’on va retrouver, au niveau physiologique, l’activation du fameux système nerveux autonome. Le système nerveux autonome est constitué de deux composantes, la composante sympathique et la composante parasympathique.

Le premier, c’est à dire le système sympathique, dans le cas d’un combat ou fuite, va permettre de mettre le corps en action, d’activer les fonctions nécessaires au combat et/ou à la fuite et d’inhiber celles qui ne le sont pas (digestion etc).

De façon très simplifiée, on attribue l’activation du système sympathique à la mise en état de combat, avec une prédominance noradrénergique (la noradrénaline qui est un neurotransmetteur) qui met tout ce petit monde en état de fonctionnement.

[On parle de prédominance, car il n’y a pas que la noradrénaline d’impliquée bien sûr. ]

Une fois la menace écartée, le système parasympathique, reprend le dessus, à prédominance cholinergique (acétylcholine – neurotransmetteur lui aussi). Il va freiner l’organisme et le faire revenir l’état de repos.

[Même chose concernant la prédominance cholinergique.]

Il est commun de dire, de manière simplifiée, qu’au moment de la perception du stress, le système sympathique s’active et le système parasympathique se met en pause.

Cependant, l’état de freezing vient rajouter du piquant et surtout de la modulation dans cette dichotomie sympathique/parasympathique.

Cependant soyons clair, si le danger est avéré et direct, le système sympathique prend le dessus : il n’y a pas de freezing. Si le danger est distant ou incertain, alors le corps se met dans ce fameux état de freezing.

Alors c’est quoi, cet état de freezing ?

L’état de freezing correspond à une coopération entre le système sympathique qui prépare le corps à agir (au niveau musculaire, de la peau, des pupilles etc), et le système parasympathique qui va permettre à l’organisme de prendre le temps de réfléchir afin de prendre une décision adaptée.

Ce dernier va baisser le rythme cardiaque (bradycardie) et mettre l’individu en hypoventilation (ralentissement de la respiration). Un peu comme si le temps s’arrêtait quelques secondes afin de prendre le meilleur choix à partir des bonnes informations.

Mais ce n’est pas tout, au-delà d’avoir cet effet sur le corps, ces systèmes vont se mettre en accord pour effectuer ce que l’on appelle un ‘reset’ cognitif ou une réinitialisation cognitive.

Réinitialisation cognitive ?

La réinitialisation cognitive consiste à stopper les tâches cognitives en cours pour ne se concentrer que sur les éléments importants de l’environnement liés à la menace. Toutes les autres informations sont inhibées au profit de celles véritablement importantes dans la situation donnée.

Ainsi, un nouvel objectif se met en place avec de nouvelles priorités.


C’est la raison pour laquelle, par exemple, lorsque votre chien ‘freeze’ sur quelque chose, vous avez tant de mal à le récupérer. Il n’est ni têtu ni sourd, il y a juste son système nerveux (central et autonome) qui bloque le traitement de l’information que vous lui envoyez car elle n’est pas pertinente dans la situation.

En fait, c’est déjà trop tard pour apporter un stimulus de détournement extérieur (ou presque).

Ainsi, un fois l’analyse effectuée et la décision prise, l’animal va effectuer l’action correspondante. Le système parasympathique va donc retirer son activité au profit du système sympathique et l’animal va rentrer en action si le besoin s’en fait sentir. Il va fuir ou se battre ou autre possibilité selon la situation.

Il est donc extrêmement important lorsque nos poilus craignent quelque chose ou sont incertains de l’issue d’une situation, de considérer ce point de freezing, car, à ce stade, nous ne pouvons plus rien faire.

A ce stade, seul le chien décide.

Si nous poussons un peu plus loin la réflexion, cela nous rappelle donc à la notion de zone de confort. En effet, lorsque le chien va voir une éventuelle menace, à distance ou dans une situation ambiguë, il peut rentrer en état de freezing, il n’est pas encore en zone rouge, cependant on peut considérer, sur échelle de couleur de vert (0 menace) orange (suspicion de menace) et rouge (menace avérée), l’animal est en zone orange lorsqu’il est en état de freezing.

C’est alors à lui seul d’analyser et de prendre une décision, en sachant qu’à ce stade, le sort de notre toutou est entre ces pattes et non les nôtres.

Il peut alors analyser par lui-même, évaluer la situation et développer d’autres stratégies que l’attaque ou la fuite si le danger n’est pas avéré. Notre toutou peut alors reprendre le cours de ces activités. Cela permet à l’animal à la prochaine exposition, d’anticiper moins de danger vis à vis du stimulus concerné ou de la situation.

Par contre, si la peur est justifiée car le danger est avéré et que les expositions se terminent par une issue désagréable, état de stress avec fuite ou agression (déclenchement dans le jargon canin), à la prochaine rencontre ou occurrence, la seule chose que pourra anticiper notre poilu, c’est que cela va mal se terminer.

Il n’existera alors que deux options qui ne nécessiteront pas de freezing ou très peu: le combat ou la fuite. Le risque devient alors que notre poilu n’ait plus de considération, à ce stade, pour une autre issue.

Il est important de rappeler que le freezing se produit dans une situation ambiguë, incertaine et plus ou moins stressante. Il correspond à une forme de statu quo et non pas d’état de terreur, ou de sidération , ce qui est totalement différent.

L’état de freezing est un état intermédiaire, de préparation mais pas un état de peur intense. Si l’animal est en stress ou peur intense, il n’est pas en freezing.

Le freezing est finalement un comportement actif et adaptatif qui permet à l’animal d’évaluer la dangerosité ou non d’un stimulus ou d’une situation ambiguë. Cependant, cette évaluation, à ce stade, lui est propre, et ne dépend que des paramètres que lui va juger important.

C’est aussi pour cela qu’il est important, lorsque l’on travaille une peur chez le chien par exemple, de rester, autant que faire se peut, dans sa zone verte, car si l’on pénètre dans la zone orange, alors nous n’avons plus de recours, le sort de notre toutou est alors entre ses pattes et advienne que pourra.

Bibliographie :

Roelofs, K., Dayan, P. Freezing revisited: coordinated autonomic and central optimization of threat coping. Nat Rev Neurosci (2022). https://doi.org/10.1038/s41583-022-00608-2

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