15# « Je ne gave pas mon chien, je lui apprends » ou la magie du système dopaminergique.

En séance, il arrive parfois que certains propriétaires de chiens soient relativement septiques quant au fait de travailler son chien avec sa friandise préférée. Il n’est pas rare d’entendre : « oui mais il le fait parce qu’il y a du fromage… il ne me porte aucun intérêt, tout ce qui lui importe, c’est la bouffe ! ». Et heureusement ! Heureusement que notre petit toutou s’intéresse à son morceau de fromage préféré, car sinon, les choses deviendraient beaucoup plus corsées et nous allons voir pourquoi.

On utilise les récompenses parce que l’on travaille avec l’émotion du chien durant la phase d’apprentissage, on le conditionne. C’est-à-dire qu’on essaye de passer un message du type : lorsque tu fais cette action, tu as quelque chose à y gagner, c’est bon pour ta survie. C’est un peu basique, mais l’idée est là. En fait, on essaie de reproduire une circonstance qui pourrait se dérouler dans la nature, car le but est d’aider le chien à s’intégrer dans un monde d’humain.

Pour ce faire, on va exploiter ce que l’on appelle le système dopaminergique, ou aussi appelé «  axe de la récompense ». Cette structure du cerveau est celle qui intervient lorsque vous récompensez votre chien et permet d’améliorer sa motivation à chaque fois que vous le récompenser. Ce qui est intéressant avec le système dopaminergique, c’est qu’il participe aussi à l’apprentissage, cela veut dire que, lorsque vous apprenez quelque chose à votre chien, il y a l’apprentissage basique mais aussi la dimension émotionnelle et motivationnelle qui va avec ! Donc quand vous donnez une récompense à votre chien, au-delà de juste donner « de la bouffe », vous exploitez aussi son système dopaminergique et pas que, il y a aussi le système sérotoninergique qui s’en mêle, mais là on risque de s’emmêler les pinceaux…

La structure principale du système dopaminergique, c’est le striatum. Le striatum est formé de plusieurs « noyaux » c’est à dit sous-structures formées par des groupes de neurones qui participent à l’apprentissage et à l’expression de différents types d’associations.

De nombreuses expériences sur les addictions ont permis de mettre ces structures en évidence, mais pas seulement. Aujourd’hui, on sait que non seulement le striatum est impliqué dans la réponse à un stimulus agréable, mais il est aussi impliqué dans l’amélioration de la réponse motrice et de l’assimilation contextuelle spatiale, c’est-à-dire que lors de l’apprentissage où le sujet est récompensé, si la récompense s’effectue en mouvement, le mouvement est amélioré.

Ce qui est aussi intéressant avec le striatum, c’est qu’il est aussi responsable de l’amélioration d’un apprentissage avec récompense, mais peut aussi modifier la réponse du chien selon si il y a récompense ou non.

Je m’explique, c’est que si vous donnez la récompense attendue à votre chien durant un apprentissage, celui-ci va être renforcé de façon active. Cependant, si vous ne récompenser pas votre chien ou que vous donnez une issue différente, cela va interférer dans le renforcement et le défaire au profit d’une réponse que le chien considère comme plus adaptée.

Prenons un exemple concret :

Vous êtes en forêt, vous rappelez votre chien, il revient.

Vous le récompensez avec un bout de viande séchée. Il y a une récompense (matérielle) et donc renforcement. Le chien obtient la récompense attendue, cela va améliorer à l’avenir sa réponse mentale et motrice.

Deuxième cas de figure :

Vous avez bien travaillé le rappel de votre chien, vous êtes en forêt et vous rappeler votre chien. Pour X raison, il met un peu de temps à revenir. Vous donnez de l’attention à votre chien et vous le féliciter (récompense affective), nous avons un autre type de récompense. Une autre association avec une autre valeur se créer.  Dans ce cas de figure, vous changez la valeur de la récompense, vous changez donc la motivation de votre chien à effectuer son retour. Selon votre relation avec votre chien, cela peut maintenir le niveau de motivation, ou le diminuer légèrement, car, bien qu’il vous adore, le chevreuil qui cavale est bien plus intéressant.

Troisième cas de figure :

Vous avez bien travaillé le rappel de votre chien (avec de la viande séchée, ouuh miam), vous êtes en forêt et vous rappeler votre chien. Pour X raison, il met un peu de temps à revenir, et vous avez passé une mauvaise journée. Vous vous énervez un peu, vous ne récompenser votre chien ni avec une friandise ni avec des félicitations. Vous donnez donc une nouvelle issue au comportement de retour et cela n’a pas de valeur agréable. Dans ce cas précis, biologiquement parlant, le chien va changer la valeur associée au retour, et donc sa motivation à revenir. Votre chien ne perd pas l’apprentissage du rappel, par contre il a changé sa motivation à revenir.

En résumé, cela veut dire que le chien, comme nous, possède un mécanisme actif qui affecte la motivation quand il n’obtient pas « l’effet attendu », et cela n’a rien avoir avec de la moquerie ou quelques perfidies, c’est juste un mécanisme biologique en place qui va gérer le type de réponse que va produire votre chien. Vous apprenez à votre chien à avoir moins de motivation à revenir par la non récompense et c’est un mécanisme actif.

Cela ne veut pas dire que dès que vous ne récompenserez pas votre chien , il va subitement oublier ses bonnes manières. Mais cela veut dire que , si l’on donne une issue à un comportement qui est à l’opposé de l’issue que l’on donne habituellement, on aura vite fait de perdre notre petit toutou bien élevé.

Là où le système de la récompense est encore plus intéressant, c’est dans le cas où le chien n’a pas de motivation pour un comportement car l’issue est très désagréable voire douloureuse. Là, grâce à l’utilisation de la récompense, on peut changer la motivation du chien à fuir en le motivant à rester.

Ainsi, pour les adorateurs de neurosciences, ce sont des petits neurones situés dans ce que l‘on appelle l’aire tégmentale ventrale reliée à la substance noire pars compacta, qui vont changer la donne.

Ces neurones s’activent lors que la situation effrayante se déroule. Cependant, ils peuvent être « court-circuités » si l’on donne une récompense à son chien à ce moment précis. Ca veut dire que l’on va perturber la réponse classique produite lors de ce contexte en particulier, affecter l’émotion du chien et finalement changer l’issue attendue

Prenons un exemple :

Un chien a été effrayé par un humain lorsqu’il dormait. Ce chien a désormais peur, et met une certaine distance entre lui et les humains.

Lorsqu’il voit un humain, les voies striatales impliquées dans ce référentiel spatial et contextuel (humain) vont s’activer pour produire un comportement d’évitement, patron moteur optimisé lors de l’expérience traumatique.

Cependant, si, lorsqu’un nouvel humain arrive, vous donnez une récompense à votre chien.  Vous allez donner une issue non attendue à la situation. Cette réponse inattendue va activer une cascade de neurones dans le striatum de notre petit toutou et changer sa motivation de fuite en stratégie d’inaction ou d’attente au fur et à mesure des essais pour finalement changer l’émotion vis-à-vis de la situation effrayante, ici, de nouveaux humains.

La situation est grandement simplifiée car ce processus est très complexe et fait intervenir plusieurs régions du cerveau en plus du striatum. Ce qu’il faut retenir, c’est que grâce à ces différents réseaux dopaminergiques, la motivation du chien change selon les circonstances, et ce changement est un processus actif !

Ainsi, le bilan, c’est que la petite friandise anodine est finalement le point central de l’adaptation de nos canidés dans nos vies d’humains parfois un peu perturbantes ou exigeantes. Et qu’il ne faut pas prendre les comportements de nos toutous comme acquis, car, ces résultats prouvent une chose :

C’est que nos toutous restent vigilants et que, bien que nous ayons droits à l’erreur, nous ne pouvons y avoir droit trop souvent.

Conseils Toutous

Bibliographie:

Cox J. et Witten I.B , Striatal circuits for reward learning and decision-making , Vol 20, 482-494 , Nature Reviews Neuroscience